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Louise K. Wilson – Histoire du vol parabolique et mal de l’espace … – 2003

Artiste

Première publication colloque Visibilité – Lisibilité de l’art spatial. Art et Gravité Zéro : l’expérience des vols paraboliques, en collaboration avec le festival @rt Outsiders, Paris, 2003

Cela fait plusieurs années que je m’intéresse au vol.

Le résultat est un certain nombre d’œuvres d’art où le désir de voler accompagné de ses effets et des sensations que voler procure est central ; en témoignent la performance The Museum of Accidents (Le Musée des Accidents) où un employé de Microsoft vole à bord d’un simulateur de vol entre deux villes pendant un thé dansant, une sculpture utilisant des interviews par téléphone avec des pilotes de la RAF (Royal Air Force) volant à basse altitude et s’échangeant leurs souvenirs des mêmes paysages, et des émissions vidéo et audio contemporaines sur le contrôle du trafic aérien dans un aéroport du nord de l’Angleterre.

Malgré la variété des supports et des échelles, ces œuvres témoignent toutes d’une curiosité sur la manière dont la technologie du vol fait ressortir certaines particularités de nos états physiologiques et psychologiques.

En cette année où nous célébrons le 100e anniversaire de l’invention du vol aérien, j’ai voulu explorer une région plus affective : les relations que le vol entretient avec la foi, la croyance et la confiance.

La raison qui m’a poussée à participer au vol en gravité zéro MIR 001 d’Arts Catalyst au Centre d’entraînement des cosmonautes Youri Gagarine à Moscou en 2001 vient d’un violent désir de le faire, mais pas uniquement. Je m’étais intéressée aux effets physiques de l’absence de gravité, et avais fait des études scientifiques à ce sujet pendant un certain temps…

Depuis le milieu des années 1990, je réalise des œuvres qui sont influencées par la recherche sur les effets physiques et émotionnels de l’expérimentation scientifique sur le scientifique et le sujet de l’expérience – humain et animal. J’ai étudié les protocoles, les méthodes et les motivations personnelles des scientifiques et observé dans quelle mesure ces derniers sont affectés par leurs expériences. Le domaine de l’expérimentation scientifique me semblait un monde très fermé, mais bien plus facile à observer de l’intérieur du laboratoire comme sujet d’expérience volontaire. Je me suis donc livrée à un certain nombre d’expérimentations médicales que je considère comme des performances.

D’abord, je m’étais rendue compte qu’on pouvait faire l’expérience de la gravité zéro sur un vol parabolique quand j’ai visité le laboratoire de l’Unité de recherche médicale aérospatiale de l’université McGill à Montréal en 1994. Je participais alors à une expérience appelée  » Rôle de la vision et énergie du cou pendant l’adaptation au mal de l’espace  » où on me montra des photographies d’équipes de chercheurs stoïques (l’air parfois béat) dans des vols en gravité zéro alignés contre les parois de la pièce. Pour cette expérience, j’ai passé une semaine dans l’obscurité à exécuter des  » mouvements auto-provoqués  » afin de susciter des nausées, réussir à m’y adapter, jusqu’à être capable de mesurer mes nausées sur une échelle de un à dix.

Le projet que j’ai proposé pour le vol MIR sept ans après consistait à apporter ma contribution à un projet en cours concernant les réactions subjectives et l’utilisation du langage pour décrire l’expérience du vol. J’ai désigné quelques personnes, dont moi, comme sujets de l’expérience, et j’ai utilisé la vidéo et l’enregistrement audio pour faire les interviews – avant, pendant, et après le vol. Pour ma part, j’étais à nouveau curieuse de voir comment le mal de l’espace affecte la relation qu’on a à son propre corps, révélant ses failles. Avant de quitter la Russie, des scientifiques (qui avaient fait le vol en gravité zéro ou ne l’avaient jamais fait) m’ont donné des conseils sur les médicaments anti-nauséeux à prendre, et les mouvements de tête à éviter pour ne pas augmenter la sensation de nausée, etc.

Je voulais aussi demander aux passagers de me raconter leurs rêves (avant et après le vol) et de me parler de la sensation étrange de « flashback » qu’ils éprouvent.

Le désir de devenir une pseudo-scientifique / observatrice du vol est en réalité passé au second plan. Par un heureux hasard, je fus recrutée comme sujet d’expérience pour une étude du Dr Anthony Bull de l’Imperial College de Londres. Il avait conçu une expérience dans le but de répondre à deux questions : le contrôle de la colonne vertébrale dans sa réaction à la gravité, et le contrôle du mouvement en absence de gravité. L’expérience que je fis où j’étais le cobaye naïf et novice (le sujet entraîné et naïf était la danseuse et performeuse aérienne Morag Wightman) s’est avérée l’expérience la plus enrichissante et la plus fascinante de toutes.

A mon retour de Russie, mes centres d’intérêt se sont diversifiés ; j’avais envie de connaître l’origine historique du vol parabolique et de comprendre comment des technologies issues de l’industrie militaire s’étendent ensuite à des usages civils.

Historiquement, le programme aérospatial américain s’inspire en grande partie des concepts, de la recherche et du développement des programmes de missiles ballistiques de l’armée et de l’armée de l’air, qui à leur tour ont bénéficié du développement de la fusée allemande pendant la deuxième guerre mondiale. Une vidéo de l’ESA (Agence spatiale européenne), des emails échangés avec des personnes contactées par l’intermédiaire du Musée de la Science à Londres, ainsi que des comptes rendus écrits d’astronautes et de cosmonautes m’ont fourni les faits et les anecdotes nécessaires.

J’ai également eu la chance de découvrir pendant mes recherches des dossiers sur l’avion à vol parabolique KC-135 aux archives historiques de la NASA à Washington. Ces dossiers contenaient surtout un nombre astronomique de photocopies de coupures de presse et d’articles de journaux et de magazines sur des étudiants essayant de découvrir le secret des lois de la physique et de la chimie. Le dossier sur la médecine spatiale m’a procuré d’autres plaisirs de lecture, comme la lettre d’un membre du Congrès se plaignant de la part trop importante que représentaient les sachets vomitoires dans le budget de la recherche et du développement de la NASA.

Ce condensé historique est éclectique et partial. Il s’attache d’abord à l’étude d’un avion allemand des années 1940, puis rappelle la triste histoire des expériences faites sur les animaux dans la médecine de l’aviation, et signale enfin l’utilisation de plus en plus fréquente des vols paraboliques au cinéma – allant d’Apollo 13 à une trilogie pornographique. Cet historique s’achève sur l’apparition du tourisme spatial et la commercialisation des vols paraboliques par Space Adventures.com

© Louise K. Wilson & Leonardo/Olats, Octobre 2003, republié 2023