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Alex Adriaansens – Que la Force soit avec Toi – 2003

Co-fondateur en 1981 et directeur de V2 à ‘s-Hertogenbosch puis à Rotterdam
aux Pays-Bas – (1953-2018)

Première publication dans le cadre du colloque Visibilité – Lisibilité de l’art spatial. Art et Gravité Zéro : l’expérience des vols paraboliques, en collaboration avec le festival @rt Outsiders, Paris, 2003.

Les textes associés au colloque ont été publiés dans le numéro spécial de la revue Anomalie, numéro 4, automne 2003, catalogue du festival @rt Outsiders dédié au Space Art.

Dans la vie de tous les jours, certaines forces de la nature comme la gravité et la rotation de la terre passent quasiment inaperçues, un peu comme la sensation épidermique ou l’air que nous respirons. Sans ces forces, nous ne serions pas ce que nous sommes. Elles sont comparables à l’eau pour les poissons. Notre conscience ne les perçoit pas, sauf quand des ‘accidents’ se produisent ; à ce moment-là, les choses deviennent soudain très claires. La gravité, quoiqu’une force essentielle de la nature, reste difficile à comprendre. Pourtant, elle fait intrinsèquement partie de notre manière de percevoir et d’éprouver le monde dans lequel nous vivons.

La gravité est une force omniprésente, qui détermine les directions de tout ce qui pousse et se déplace. Elle détermine la forme de toutes les choses matérielles ou immatérielles qui sont malléables (souvent conjointement avec d’autres forces de la nature). Et comme toutes les matières passent d’un état à un autre, selon les lois de la thermodynamique (entre la radiation, le gaz, les fluides et les solides), et puisque tout ce que nous connaissons dans l’univers est en mouvement constant et dans un état transitoire, on peut estimer l’impact que la gravité a sur l’univers et plus particulièrement sur l’existence terrestre.

La gravité, une force qu’on n’éprouve pas consciemment en situation normale, a fait l’objet de nombreuses études dans la plupart des civilisations. Cela parce que nous ne pouvons échapper aux conditions que la gravité provoque : elle ancre les êtres humains au sol. C’est une situation douloureuse en un sens, à voir tout l’espace au-dessus de nos têtes et les objets qui s’y déplacent. La fascination qu’exerce cette force invisible qui nous ancre au sol est indéniable. Par conséquent, la gravité stimule notre imagination et nous pousse à contrôler et à vaincre cette force. Ce désir se traduit par des rituels, des cérémonies religieuses, des mythes, dans les arts et aussi dans les sciences.
Ce désir constitutif de chercher à nous libérer des limites physiques que la gravité nous impose exerce sur nous un grand pouvoir créatif. Ce désir nous pousse à développer une culture technologique occidentale. Il est lié à d’autres questions d’ordre politique, social, économique et écologique.

Nous savons tous que notre perception nous trompe, et que nos sens et notre cerveau construisent une appréhension limitée de la réalité. L’art et la science n’ont jamais cessé, par la recherche et la réflexion, de remettre en question notre manière d’appréhender la réalité. Même si nous comprenons de mieux en mieux comment fonctionne la réalité sociale, culturelle et scientifique dans laquelle nous évoluons, le  » monde  » tel que nous le percevons demande à être interprété comme une interface, comme Otto Roesler l’a expliqué dans sa présentation lors du séminaire MIR à Rotterdam : il reste une construction de notre cerveau.

La méfiance que nous ressentons face à la réalité et à ses ruses, et le désir de définir une appréhension scientifique et universelle de la réalité, témoignent d’une quête motivée par des questions socio-politiques mais aussi par un questionnement métaphysique sur notre existence. Les phénomènes de la chute (vers le centre de gravité), de la lévitation et du vol sont à la fois utilisés comme des métaphores puissantes et des événements concrets, intégrés à nos langages scientifiques, culturels et sociaux et à nos rituels. Ils se réfèrent tous à des moments dynamiques où l’instabilité et l’incontrôlable sont autant de facteurs participant à la remise en question de la réalité (même s’il ne faut pas oublier que ceux qui s’élèvent ou volent finissent toujours par tomber, comme l’histoire d’Icare nous le montre bien). Interroger et construire la réalité, que ce soit le fait de l’art ou de la science – ou des deux ensemble – a un coût et comporte des risques ; l’histoire en est témoin.

Ces facteurs sont au coeur du projet MIR (Microgravity Interdisciplinary Research), fruit d’une collaboration entre plusieurs centres d’art européens qui s’intéressent à la relation entre l’art, la science et la technologie.
Le complexe militaire du Centre d’entraînement des cosmonautes Youri Gagarine à Moscou, base du programme aérospatial russe, a donné un cadre au projet MIR et aux artistes qui y ont participé.

Pour faire l’expérience de la gravité d’un point de vue physiologique, il n’y a rien de mieux qu’un voyage dans l’espace. On peut aussi en faire l’expérience avec les centrifugeuses et les vols paraboliques qui font partie des programmes spatiaux russe, américain et européen. Les vols paraboliques simulent des niveaux de gravité variables dans des conditions physiques difficiles pendant 30 secondes (après quoi on se retrouve en double gravité pendant 20 secondes). Malheureusement, les artistes ont très rarement accès à ces programmes, dont l’orientation est avant tout scientifique et militaire. Grâce au projet MIR, les artistes ont maintenant l’opportunité de mener une série de projets de recherche dans l’enceinte du Centre d’entraînement des cosmonautes Youri Gagarine à Moscou (vols paraboliques, centrifugeuses). Le projet MIR a donné à un groupe d’artistes la possibilité de développer des projets de recherche artistiques dans le cadre offert par le Centre. La majeure partie de ces projets concerne les problèmes de motricité et la perception du corps en général dans des conditons de gravité variables.

Pour le centre de recherche et de création V2_, la question centrale qui entre dans le cadre du projet MIR est celle de l’effet de la perception visuelle et tactile dans des environnements de réalité virtuelle et de ses effets physiologiques, une recherche que seuls des scientifiques avaient menée jusqu’ici, même si la réalité virtuelle intéresse aussi de nombreux artistes. La relation entre des conditions de gravité variables et la réalité virtuelle et l’effet que celles-ci provoquent sur notre perception, notre corps et notre esprit constitue un des enjeux majeurs de cette étude. Elle se consacre aussi à la manière dont on ressent son corps dans ces espaces de médiation et ces réalités mixtes. Le séminaire que V2_ a organisé dans le cadre du projet MIR (http://lab.v2.nl/projects/mir.html utiliser le moteur de recherche) a soulevé cette problématique dans le contexte plus vaste de la recherche dans le domaine de la gravité variable comme nous l’avons mentionné dans les paragraphes ci-dessus. Les questions étaient les suivantes : comment notre corps perçoit-il, et que perçoit-il dans des conditions variables, dynamiques et instables ? Comment est-il possible de développer des principes esthétiques liés à des environnements immersifs, interactifs et dynamiques ? Voir le texte sur l’Esthétique de la Machine d’Andreas Broeckmann de 1997, disponible sur le site V2_ à http://archive.v2.nl (utiliser le moteur de recherche).

MIR a mis en œuvre le souhait récent de certains artistes et scientifiques d’engager un dialogue. Ceci témoigne d’un intérêt croissant pour les pratiques transdisciplinaires et du caractère ultra spécialisé de certaines pratiques, qu’elles soient scientifiques, sociales, économiques ou artistiques, et qui tendent par nature à rester fermées sur elles-mêmes. D’un point de vue socio-culturel, il apparaît nécessaire de relier et de recadrer toutes ces disciplines, car la richesse potentielle de toute pratique dépend de la manière dont elle s’intègre à la culture et à la société.

© Alex Adriaansen & Leonardo/Olats, Octobre 2003, republié 2023