Denis Thierion – L’accès à la micropesanteur. Les vols paraboliques. A300 ZERO-G – 2003
Ingénieur au CNES (Centre National d’Etudes Spatiales. Directeur des vols paraboliques, CNES, Toulouse, France
Première publication colloque Visibilité – Lisibilité de l’art spatial. Art et Gravité Zéro : l’expérience des vols paraboliques, en collaboration avec le festival @rt Outsiders, Paris, 2003
Introduction
Sous l’effet de l’attraction terrestre, tout objet est attiré vers le centre de la Terre. Des obstacles (le sol, un immeuble, une table) stoppent néanmoins cette chute, imprimant à chaque objet ou personne une sensation de poids, c’est-à-dire de pesanteur.
Placé dans des conditions particulières, on peut néanmoins faire disparaître certains effets de cette pesanteur . C’est le cas des spationautes qui, libérés de leur poids, semblent flotter dans leur vaisseau. C’est également ce qui se passe lors de vols paraboliques qui permettent pendant quelques secondes d’accéder sur Terre aux conditions d’impesanteur.
Des fusées-sondes et des tours et puits à chute libre peuvent également être utilisés. Entièrement automatisés, ces derniers ne permettent cependant pas d’embarquer des hommes.
Depuis 1988, le CNES mène un programme de vols paraboliques afin de réaliser des expériences scientifiques en impesanteur sans recourir à un dispositif spatial coûteux. L’établissement utilise depuis 1997 un Airbus A300 spécialement aménagé par NOVESPACE : l’A300 ZERO-G.
L’appareil effectue lors de chaque vol une série de 30 paraboles au cours desquelles il est en chute libre pendant 20 à 25 secondes, créant ainsi une situation d’impesanteur. Des expériences inédites peuvent alors être réalisées.
L’A300 ZERO-G
• Nom : A300 ZERO-G
• Initiateur : NOVESPACE avec support du CNES
• Origine : proposition de la Direction des programmes scientifiques du CNES
• Statut : en cours d’exploitation
• Propriétaire et gestionnaire du programme: NOVESPACE
• Financement: le CNES, l’ESA et NOVESPACE
• Clients : le CNES, l’ESA, le DLR, la NASDA, Spacehab, Guigné Technologies, Nec, Toshiba, etc…
• Objectifs : réaliser des expériences scientifiques en recréant les conditions d’impesanteur, réaliser des tests technologiques, ou des expériences pédagogiques
• 1er vol parabolique: 1997
Un moyen économique d'accès à l'impesanteur
Historique du programme
Les vols paraboliques débutent en France en 1946. Ils sont alors effectués par le CEV (Centre d’Essais en Vol) pour tester des équipements d’avion, activité soutenue pendant une 15aine d’années.
Puis le CNES envisage d’utiliser les vols paraboliques à des fins scientifiques. La faisabilité technique et financière du projet est démontrée en octobre 1988. 1 an plus tard, la 1ère campagne débute sur une Caravelle. Cet avion, fleuron de l’aéronautique française d’après-guerre, effectue pendant 6 ans près de 40 campagnes de vols paraboliques, commercialisées par NOVESPACE.
En 1997 l’Airbus A300, le plus gros appareil 0 g du monde, lui succède. Le coût d’acquisition de l’Airbus A300 est assumé par le CNES tandis que sa filiale NOVESPACE finance l’adaptation de l’appareil aux vols paraboliques. Les travaux d’aménagement de l’avion débutent courant 1996 et la qualification en vol a lieu en mai 1997.
Vocabulaire: La lettre g désigne l’accélération de la pesanteur terrestre. Elle vaut au sol 9,8 m/s². C’est aussi une unité d’accélération (1 g = 9,8 m/s²)
L’organisation industrielle
Créé en 1986, NOVESPACE assure la gestion du programme, l’organisation et la promotion des campagnes de vols paraboliques tandis que le CNES et l’ESA partagent les coûts d’investissement et de maintenance de l’appareil.
NOVESPACE réalise entre 6 et 7 campagnes de vols annuelles pour le compte du CNES, de l’ESA, du DLR (agence spatiale allemande) et d’industriels européens, américains ou japonais.
De l’utilité des vols paraboliques
Initialement pensés pour l’entraînement des spationautes, les vols paraboliques sont aujourd’hui essentiellement utilisés par les puissances spatiales pour la réalisation d’expériences scientifiques et le test d’instruments spatiaux. L’avion 0 g se révèle également un excellent banc d’essai avant d’envoyer tout instrument sophistiqué dans l’espace.
Les fusées sondes et les stations orbitales permettent également d’accéder aux conditions d’impesanteur, mais le vol parabolique représente la méthode la plus flexible et surtout la moins coûteuse.
Les scientifiques disposent avec les vols paraboliques d’un moyen souple d’expérimentation. Les délais entre la proposition d’une expérience et sa réalisation sont ainsi réduits à quelques mois. De plus, les scientifiques sont présents lors du vol et peuvent donc ajuster leur expérience si nécessaire.
Un terrain d'expérience unique
Un champ d’investigation étendu
L’intérêt des vols paraboliques s’étend à de nombreux domaines tant en sciences physiques qu’en sciences de la vie. La mécanique des fluides, la biologie, la physiologie humaine, la combustion et la physique fondamentale comptent parmi les disciplines les plus étudiées.
Les expériences embarquées à bord de l’A300 ZERO-G peuvent être de nature très différente : du test de l’effet d’un caisson destiné à drainer le sang vers le bas du corps lors des vols spatiaux à l’étude de la combustion d’une goutte de carburant dans un moteur-fusée.
Depuis plusieurs années, les établissements scolaires sont également invités à concevoir et réaliser des expériences à bord de l’A300 ZERO-G. Différence entre poids et masse, réalisation d’un système de contrôle d’altitude autonome…sont autant de projets développés par des groupes de jeunes passionnés pour appréhender le phénomène de l’impesanteur. L’objectif de cette initiative est également de les sensibiliser à la science et à l’organisation d’un projet spatial.
Les limites des vols paraboliques
Les conditions d’accès à l’impesanteur lors de vols paraboliques sont, par rapport aux vols spatiaux, limitées en qualité et en durée. L’impesanteur recréée lors de ces vols est ainsi de 0,05 g, alors qu’elle est de 10-6 g dans une capsule spatiale automatique. Cette valeur reste cependant suffisante pour l’étude de nombreux phénomènes.
Des campagnes à succès
Une campagne de vols paraboliques se compose d’un vol quotidien pendant 3 jours. De 1997 à 2003, l’Airbus A300 ZERO-G a réalisé avec succès 133 vols, totalisant 3 374 paraboles.
Près de 739 expériences ont ainsi été menées. Parmi les résultats les plus significatifs on peut signaler :
• Sur le plan scientifique : l’étude des structurations des milieux granulaires sous vibration, les études de combustion, l’étude du rôle de la microgravité sur le contrôle postural et la coordination oculomotrice, l’étude des aspects cognitifs (notion de référentiels internes, …). Toutes ces recherches ont fait l’objet de nombreuses publications.
• Sur le plan technologique, le test de repliement des panneaux solaires du satellite japonais COMETS qui a permis d’identifier un défaut majeur et de valider sa correction
Il est important de souligner que toutes les expériences relevant du domaine des Sciences du Vivant et utilisant des volontaires sains sont réalisées en conformité avec la loi Huriet.
L’Airbus A300 0G est habilité comme lieu de recherche, tous les protocoles expérimentaux sont soumis à un comité d’éthique et font l’objet d’une déclaration au Ministère de la Santé.
Principes de fonctionnement
Un avion quelque peu modifié
L’A300 ZERO-G ressemble pour beaucoup à un avion traditionnel, exception faite de quelques agencements spécifiques.
Le poste de pilotage a été aménagé pour satisfaire les besoins du vol parabolique : ajout d’indicateurs accélérométriques, déplacement de certaines commandes pour les rendre plus accessibles en phase d’impesanteur, etc. Les pilotes sont tous des pilotes d’essai expérimentés.
La cabine a également été entièrement repensée. Le nombre de sièges a été ramené à une 40aine répartis à l’avant et à l’arrière de l’appareil. Les sols et parois sont revêtus d’un capitonnage de mousse afin de protéger les passagers et les modules d’expériences fixés au sol sur une surface de 100 m².
Ajout de panneaux électriques, de mains-courantes, modification de l’éclairage, etc : l’A300 ZERO-G a été entièrement aménagé pour optimiser le travail des chercheurs.
Enfin, le système de génération électrique et les centrales inertielles de l’avion ont été modifiés pour tenir les périodes successives de micropesanteur. Un GPWS et un TACS ont été installés afin de permettre des missions à l’étranger.
Le principe de la parabole
Lors de la 1ère phase de vol, l’avion évolue à l’horizontale. Le pilote prépare sa parabole en augmentant progressivement sa vitesse jusqu’à environ 810km/h, vitesse maximale autorisée pour ce type d’appareil. Puis il cabre progressivement l’appareil pour atteindre un angle de 45°. Il s’instaure, pendant cette manœuvre, une forte pesanteur apparente: les passagers pèsent 1,8 fois leur poids sur Terre.
Alors que l’avion est en pleine ascension, le mécanicien réduit significativement le régime des moteurs pour simplement compenser la trainée, le commandant de bord pousse le manche pour annuler la portance. L’appareil tel un projectile décrit alors une parabole. Ses passagers et sa cargaison sont alors en « chute libre » dans des conditions proches de l’impesanteur.
20 s plus tard, le retour à la pesanteur est rapide. Lorsque l’avion atteint une inclinaison de 45° vers le bas, le mécanicien augmente cette fois le régime des moteurs pour redonner de la vitesse à l’appareil tandis que le pilote le redresse progressivement. Les passagers pèsent une nouvelle fois 1,8 fois leur poids pendant 20 s, en descente cette fois, avant un retour à l’horizontal et l’attente d’une nouvelle parabole 2 minutes plus tard.
Ces manœuvres sont répétées 30 fois lors de chaque vol.
Principes techniques
L’A300 ZERO-G en quelques chiffres
Masse : 137 tonnes
Dimensions : 52 m (longueur) x 44 m (envergure), diamètre 5,64 m
Surface d’expérimentation : 100 m2
Qualité de l’impesanteur : 5.10-2 g
Capacité : 40 passagers
Nombre d’expériences embarquées : 10 à 15
Aéroport d’attache : aéroport international de Bordeaux-Mérignac
En 2003, l’A300 ZEROG a d’autres utilisations : Il est notamment utilisé par l’ESA et le CNES dans le cadre du programme ARTA, pour l’observation des retombées sur terre de l’Etage Principal Cryogénique d’Ariane 5. Un système radar embarqué, dont l’antenne est fixée en verrue sur la porte cargo avant, a été installé dans ce but. D’autres utilisations de l’A300 ZERO-G sont en projet, notamment pour des entreprises européennes dans le domaine militaire.
© Denis Thierion & Leonardo/Olats, Octobre 2003, republié 2023
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Observatoire Leonardo des Arts et des Techno-Sciences
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